Toutes les semaines, c'est la même routine, vos amis normaux vous convoquent dans un bar branché pour aller boire des mojitos hors de prix et tenter de danser le bassin collé à quelque demoiselle coopérante. Et chaque semaine, vous sortez la même excuse, partagé entre fierté et un étrange sentiment de berner quelqu'un : « Non désolé, je peux pas, je dois aller filmer du skate ».
Le mojito à 10€, gage de votre normalité.
Parce que oui, voilà plusieurs moi que vous et vos skate-sauces vous êtes lancés dans l'aventure de la vidéo de skate indépendante à vocation urbaine. Chaque week-end vous sortez skater jusqu'à pas d'heure, sessions qui se finissent très souvent à skater un bout de trottoir avec un pack de houblon en bouteille. Vous avez à votre actif 14 clips de slappys et 12 de wallies et vous repoussez encore et encore le moment de filmer votre hammer de fin de part (« Nan, mais tu comprends, j'ai pas envie de me blesser alors qu'il nous reste un mois de filming, je me jetterai plus tard ! »). Alors quelque part, dans un recoin obscur de vôtre âme, vous vous sentez un peu illégitime lorsque vous annoncez de manière très officielle à vos amis normaux que vous devez aller filmer. La peur d'un retour de bâton vous chatouille la nuque à chaque fois que vous songez au moment où il faudra montrer le fruit de votre labeur à ces gens.
Et puis un jour, vous ne pouvez plus y couper. La première a déjà eu lieu entre skateurs, votre minute et demi a été acclamée (surtout par vos potes il faut dire, et un mec dans le fond qui criait « yes papa ! » religieusement toutes les quinze secondes). Mais voilà, vous avez été invité à un apéro dînatoire bien sous tout rapport, et l'on vous a demandé, sommé serait plus juste, étant donnée l'expectative de la part de vous amis normaux, d'amener ce joyau de l'underground qu'est la vidéo indépendante à laquelle vous avez pris part.
Apéros de simples d'esprits non-initiés au subtilités de l'underground |
Fébrile, vous sortez le DVD de sa jaquette, le glissez dans le lecteur, tentez un dernière fois de prétendre à un problème de connectique, rapidement résolu par votre ami normal féru de technologie Apple, puis résigné, vous vous résolvez à appuyer sur play mû par un sentiment similaire à celui d'un mauvais élève qui rapporterait son bulletin à ses parents.
Il vaut savoir que depuis tout ce temps où vous dites à vos amis normaux que vous allez vous faire filmer en train de skater, une sorte de mythe s'est peu à peu créé autour de votre personne. Chacun y puise de sa connaissance des sports extrêmes, mais vos amis vous conçoivent comme un casse-cou trompe-la-mort à mi-chemin entre Nyjah Huston et Tony Hawk, pendant que votre ami qui skatait avec vous au collège sait bien que depuis le temps, vous vous envoyé sûrement des rails de 15 marches à la Jamie Thomas.
Très vite donc, le malaise s'installe pendant la projection alors que vos prouesses et celles de vos skate-sauces ne répondent pas aux exigences boostées à la sauce MTV de vos amis normaux. D'abord abasourdis par le manque évident de prise de risque, une éternelle minute s'écoulera dans un silence pesant, puis ils se rappelleront très vite les règles de la politesse et se forceront à pousser d'enthousiastes « waouh ! », et toujours ce « yes papa ! » qui décidément semble revenir comme un refrain amer dans votre existence. Viendront ensuite des commentaires plus élaborés sur la hauteur des trois marches que vous fire-crackez ou encore sur votre hammer de fin de part : un boardslide sur un rail de 5 marches, avec un moulinage des bras et une longueur de pantalon digne de Sean Pablo : « Dis donc, t'as dû déjà te casser un truc non ? », « Et c'est tout fait du premier coup, c'est ça ? ». Vous suez déjà à grosses gouttes, vos réponses monosyllabiques trahissent votre gêne et vous vous retrouvez à balbutier malgré vous « On a décidé de rien mettre d'impressionnant pour montrer les joies simples du skate, vous voyez ? » Ouf, cette habile pirouette langagière vous sortira du pétrin.
Cependant, vos amis normaux ne sont que partiellement dupes, et cette séance leur laissera un amer goût te trahison qu'ils s'empresseront de faire disparaître en enfournant de petites boules au wazabi. Très vite l'on se détournera alors de vous, on ne vous proposera plus le plat avec les petits fours miel-chèvre, on ne rira plus à vos joutes verbales, en d'autres termes, vous serez progressivement néanmoins sûrement ostracisé de votre groupe d'amis normaux.
Les affres de la solitude parmi les gens qui ne pipent rien au skate-game.
Puis, l'âme en peine, vers 23h, vous consulterez les 2cm² de l'écran de votre téléphone qui ne sont pas brisés par vos chutes à répétition pour y lire un texto de vos skate-sauces : « Yo, skate ? ». Alors, à pas feutrés, vous vous lèverez, prétextant un besoin urgent à soulager, vous irez dans le couloir récupérer votre planche et votre manteau et vous glisserez discrètement hors de l'appartement, dévalerez les marches quatre à quatre avant de vous élancez dans la rue, sous la nuit étoilez, poussant comme un tabanar pour rejoindre vos skate-sauces qui ont déjà entamé un pack et trouvé un nouveau trottoir à slappy. Ils n'ont même pas pris la caméra cette fois.
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