dimanche 28 janvier 2024

Le roll-on grind, symptôme d'une génération de feignasses

Lylian Fev, roll-on fs crook

 https://soloskatemag.com/lilian-fev-unique-relique-from-paris

 
Phénomène observable depuis maintenant plusieurs années, le roll-on grind est un trick qui a aujourd'hui acquis une légitimité indéniable auprès des jeunes skateurs. Facile d'accès, et pouvant se révéler hautement photogénique, cette manœuvre se décline à l'envie et peut-être convoquée dans des situations aussi moult que diverses :

- le roll-on 50-50 en partant d'un étroit muret pour grinder une barrière CRS, bien souvent maintenue par un individu en état d'ébriété avancée, mais heureux de contribuer au trick. On parlera alors de la version hesh.

- la version tech : le protagoniste pinchera alors sont truck sur une arrête qui se présentera à lui sans qu'il ait à claquer son tail. Le flip out pourra alors permettre de proposer une sortie de niveau "expert" par opposition au roll-on qui constitue en soit une entrée en matière pour les novices.

- la version "esbrouffe" : le protagoniste se calera sur une arrête avec un gros drop à la sortie et prendra une expression faciale engagée le temps du frottement des essieux sur l'arrête. Cette version se pratique généralement en arborant un t-shirt de groupe qui n'existe pas et un bonnet enfoncé au ras des yeux.


Casper Brooker a enfoncé son bonnet jusqu'au ras des yeux et se lance en fakie roll-on fs tailslide 270 the hard way
Atlantic Drif : Casper Brooker

 

Oui mais, le roll-on grind c'est quoi ?

Le roll-on grind puisse ses racines dans l'histoire ante-ollienne du skate. Ce temps où le ollie n'avait pas encore été inventé pour gravir les dénivelés verticaux. A cette époque, l'un des seuls moyeux pour faire grinder ses essieux en street était alors de trouver un spot qui, grâce à son agencement, permettait un calage des trucks sans avoir à claquer son tail.

Puis, avec l'apparition du ollie, si le roll-on grind s'est fait moins présent, il est resté tout de même un passage nécessaire pour le novice désireux de connaître ses premiers émois en 50-50.

Le roll-on grind permet bien souvent aux novices de connaître leurs premiers frissons grindés.

La vrai question alors, est de se demander pourquoi ce retour en puissance du roll-on grind ? En effet,  le skateboard moderne est désormais doté de tous les outils pour permettre au pratiquant  de monter avec aisance sur un ledge. Quel phénomène pousse alors le jeune pratiquant à se tourner vers cette pratique ancestrale ?

Un exemple  contemporain de l'appétence du skateur de moins de 25 ans à recourir aux manœuvres à base de roll-on pourra être puise dans la vidéo "Off the ring" de Macéo Moreau.


Les jeunes se livrent ici fréquemment à des manœuvres sans ollie dans les quartiers multicultrels de la région Ile-de-France. On notera tout de même le vice d'un protagoniste qui combinera la technique du roll-on avec un front tail fs heelflip out, tout droit sorti de la vidéo Osiris the Storm.

 

Les jeunes d'aujourd'hui, une génération de feignasses

 Dans ce pamphlet ardent, Jean Rousselet nous livre un portrait sans concession d'une jeunesse qui n'en a plus rien à secouer.

 

C'est en puisant dans les écrits avisés de Jean Rousselet que nos rédacteurs ont pu trouvé un élément de réponse. En effet, il semblerait que la génération actuelle des jeunes souffre d'une crise identitaire qui la pousse a reléguer la valeur travail à la dernière de ses préoccupations. Les études portent à croire qu'ils ne veulent plus rien branler à part glander sur les internets et se plaindre que le monde brûle autour d'eux tout en vapotant un savoureux parfum caramel-Redbull.


 Entre progresser en skate ou fumer des shits, Timéo et Kyllian ont vite fait leur choix.

Résultats, les jeunes d'aujourd'hui sont en proie à une telle aliénation que claquer leur tail dans le cadre de leur hobby représente une charge de travail trop importante. Trop d'engagement physique, trop d'investissement moral. Trop de tout. Il n'est pas vain de dire que le jeune d'aujourd'hui est paralysé à l'idée de monter sur un ledge en ayant recours au ollie.

 


Dans ce contexte de délabrement moral généralisé, il n'est alors pas étonnant d'assister à la montée en puissance du roll-on grind. Il est une parade pour une génération qui n'en a plus rien à branler et qui pense plus à rapper sur Soundcloud que payer les retraites de ses aînés. Rouler pour se caler en grind devient même une déclaration performative en soit : en roulant vers mon grind, je me déclare de fait hors-compétition et ne prends pas part à la kermesse qu'est le skateboard moderne et progressiste.

En conclusion, méditons sur le mal être évident de ces jeunes en regardant une belle photographie d' Andrew Allen.

 

Andrew Allen ne fait pas vraiment de roll-on grinds, seulement quelques petits drop-ins sur d'étroits murets, par contre il a bien compris comment rien branler sur son skate et déchaîner les passions malgré tout. Et c'est beau.


dimanche 14 janvier 2024

Une histoire à coucher dehors… ou de l’usage de la figure du SDF dans la culture skate


Disclaimer : le terme "skate culture", ci-desssou usité à moult reprises, englobera ici une amas indéfini de pratiquants de skate et d'acteurs commerciaux de l'industrie du skate.

 

Homeless in Barcelona – © Rae Bathgate

 

Le skateboard est une activité qui se pratique dans la rue, caractérisée par une occupation de l’espace public, de manière durable et spectaculaire. Non pas spectaculaire dans le sens que cette activité est impressionnante, mais plutôt parce qu’elle “fait spectacle” par sa scénographie : les passants s'arrêtent volontiers pour regarder la scène qui se déroule devant eux. L’organisation de l’espace-même n’est pas sans évoquer celle d’un spectacle de rue : les skateurs qui regardent et encouragent, encerclant la scène du trick, le filmeur qui confère à la scène une qualité extraordinaire au point qu’elle mérite d’être immortalisée et, enfin, notre soliste, le skateur qui performe.


La grande communauté de la rue, le biotope du skateur


En tant qu’occupant temporaire de la rue, il n’est pas rare pour les skateurs de se retrouver à partager le spot avec les autres personnes qui habitent cet espace, temporairement ou non. Faune urbaine diverse composées de badauds lambdas, de vendeurs à la sauvette, de seniors installés sur un banc, de groupes de jeunes en tenue de sport siglée ou enfin, de SDF.

 

Parmi cette faune urbaine, le SDF est un individu avec qui le skateur est fréquemment amené à échanger. Rien d’étonnant, puisqu’il est par définition l’habitant permanent de cet espace. Que ce soit simplement pour partager l’espace avec plus ou moins de bienveillance, recevoir des conseils non-sollicités sur l’accomplissement d’un trick, voire partager une canette tiède de bière à bas prix, les occasions d'interactions avec les SDF sont nombreuses pour celui qui pratique la planche à roulette agressive dans une grande ville.



Dan Flatula, CEO de la Lodge, ne skate pas vraiment mais partage l’espace avec un SDF


Ces occasions sont non seulement fréquentes, mais également réparties de manière assez uniforme à travers le territoire géographique du skate mondial. De Bordeaux, à New York, en passant par Londres ou Barcelone, vous pouvez être certain que votre expérience du skateboard de rue ne se fera pas sans que votre chemin croise celui d’un SDF.


Notre thèse est donc la suivante : à force de ces interactions, il semblerait que la figure du SDF ait pris une signification toute particulière dans l’imaginaire collectif de la culture skate. Une sorte de totem.  

Dans un premier temps, interagir/fréquenter un SDF deviendrait un gage de légitimité pour le skateur en tant qu’occupant de la rue. On parlera alors de street cred’. Et dans un deuxième temps, la skate culture s’est mise à projeter sur la figure du SDF ses propres fantasmes de liberté, d’anti-conformisme et de détachements des choses matérielles.



José, pigiste chez La Lodge nous pitche son article sur les SDF.


Le skateur et le SDF, même combat ?


Par définition, la pratique du skateboard de rue se pense comme une activité rebelle et anti-conformiste. La fonction primaire du mobilier urbain est détournée par le skateur, et le détournement qu’il en fait est à des fins ludiques et artistiques. En outre, il ne sert à rien d’autre qu’au plaisir du pratiquant. Par ailleurs, pratiquer le skateboard dans la ville capitaliste moderne (comme le sont les agglomérations du monde occidental depuis un siècle), pensée pour faciliter la consommation et le transport de travailleurs vers leur lieu de travail, a réellement quelque chose d’anti-conformiste. (Zarka, La conjonction interdite).

 

Les loisirs classiques existent dans la ville, mais ils sont concentrés dans les lieux prévus à cet usage, délimités et ne contrevenant pas à la bonne marche des choses : le parc pour enfant, le city-stade, le mur d’escalade urbain, les installations de musculation, etc. Le skate dans la rue, lui, à la particularité de se dérouler au milieu du chassé-croisé des individus qui font un usage captitaliste de la ville (aller au travail, consommer, etc).


Par ce décalage, le skateur ressent donc aisément des affinités avec les personnes qui occupent la rue de manière prolongée et qui sont en décalage avec le rythme et les usages prévus. La proximité éprouvée à l’égard du SDF coule donc de source. Nous occupons le même espace, nous ne faisons pas que passer, nous ne sommes pas là pour consommer et…. Et ? Et bien, il semblerait que ça s’arrête là en fait. Car si le skateboarder est là pour son plaisir, le SDF, lui, ne l’est pas. Ajoutons à cela le  milieu social moyen dont est issu le skateur,  le coût du matériel de skate, le port de vêtements de marques de skate au prix exorbitant, et il semblerait qu’il n’y ait pas deux personnes avec moins en commun que le skateur et le SDF. 


Relativisons, il y a bien entendu de nombreux skateurs issus de milieu populaire. C’est d’ailleurs sous cet angle que le la mythologie du skateboard dans les années 90s a été souvent présentée par de nombreux pros : un échappatoire, un lieu de stabilité, en opposition avec le foyer familial, lieu de toutes les turbulences. Rappelons aussi, que pour plusieurs pros, le passage par la rue a été une étape dans leur parcours. Parmi d’autres, Jamie Thomas dormait à l’EMB à son arrivée en Californie, Stevie Williams couch-surfait à SF à l’âge de 15 ans, Chad Muska dormait à la belle étoile dans un parc à Santa Monica avant de faire sensation.




Néanmoins, ces parcours sont à mettre en perspective avec le fait que ces personnalités du skate ont volontairement quitté leur sphère familiale, pour partir en quête d’une carrière de skateur professionnel en Californie. En cela, elles se différencient significativement du parcours d’un individu dont la situation familiale ou financière l’aurait contraint à vivre dans la rue. 


Du core au mainstream, le SDF comme motif récurrent dans les vidéos de skate


Il semblerait que la culture skate soit en partie consciente de ce jeu de dupe et l’ait même digéré. En effet, de nombreuses vidéos de skate établissent des liens étroits entre skateur et SDF pour souligner le fait que nous, skateurs,  appartenons à la grande famille de la rue comme les SDF,  mais surtout, pour légitimer la street cred des pratiquants, leur donner une saveur plus alternative et donner un caractère plus authentique à leur vidéo. 


Les exemples sont innombrables parmi le paysage des vidéos de skate, nous n’en citerons donc que quelques-uns à l’emporte pièce :

 

  • Bill Strobeck et sa fascination pour les marginaux dans les vidéo Supreme

  • les clochards de LA filmés en long et en large par Beagle dans les vidéos Baker

  • les interactions nombreuses, parfois houleuses, avec les SDF de Love Park dans les vidéos Sabotage


Les amateurs de clips malaisants apprécieront ce plan séquence d’un junkie discutant le bout de gras en fumant avec une Anthony Pappalardo narquois, courtesy of Bill Strobeck.


A mon sens, là où cette utilisation devient problématique, c’est lorsque l’usage fait de l’image du SDF est dégradant et constitue une atteinte à la dignité de la personne. Qu’il s’agisse d’une personne réelle et physique, ou simplement de ce que représente le SDF. On est alors loin de la street cred du skatos, mais plutôt dans la moquerie dans sa plus simple forme.

 

Certains d’entre nous se rappelleront les tendres années collège à sauter par dessus des hobos dans le jeu vidéo Tony Hawk’s Pro Skater sans que cela n’éveille la moindre interrogation.  


Un petit ollie, buddy ?


Je vous propose de nous arrêter un instant sur la marque Anti-Hero. Souvent érigée comme “your favorite skater’s favorite board company”, c’est la marque qu’un grand nombre de pros skatent lorsqu’ils sont entre 2 sponsors, s’ils n’ont pas trop des goûts de chiotte. 

 


American is the land of freedom, mais faut pas déconner quand même.

Un team de légende, un skate résolument traditionnel, sans fioriture et intemporel. De Cardiel, à Grant Taylor, jusqu’à l’ajout récent de Nick Matthews, le team est impeccable.


La marque s’appuie sur une imagerie somme toute très américaine (l’aigle), tout en se moquant du conformisme et du capitalisme inhérent à cette société. Sans surprise, la figure du “hobo”,ce travailleur itinérant américain, est un donc une allusion récurrente présente sur les graphiques des planches, les pubs de magazines et même dans leur concept de vidéo.



Publicité Anti Hero publiée dans Thrasher. 

 

Rappelez-vous cette vidéo, Tent City. dont le titre fait référence à ces tent cities peuplées de vagabonds qui sont apparues pendant la Grand Dépresssion des années 30 pour accueillir toutes ces afflux de familles itinérantes ayant perdu leur maison suite à la crise.


 

 

L’objectif n’est pas de s’indigner, la référence étant plutôt innocente et drôle. C’est  avant tout pour montrer que ces nombreux indices témoignent d’une réelle identification à la figure du hobo pour cette marque. 

 

On soulignera tout de même que c’est cette même marque, si proche de la rue et des hobos qui montre l’un de ses riders faire des flips cabrettes par-dessus des SDF au bout du rouleau.


Qu’est-ce qu’on est street les manz’, vous trouvez pas ?

Extrait de la vidéo “Austin Kanfoush: Shit Canned Construction


Il y a quelque chose d’assez étonnant dans le fait qu’une marque puisse être à la fois aussi progressiste sur certains points (Brian Anderson a fait son coming-out alors qu’il était déjà chez Anti Hero), et valorise des comportements aussi problématiques à la fois


Loin de nous l’idée de les afficher eux plus que d’autres, car aussi bien la franchise des jeux vidéo THPS aux recettes faramineuses que les vidéos core de GX1000 font montre de ce petit penchant pour les manœuvres bien steezy par dessus les indigents.


Hobo-consomus


Il est intéressant de voir comment cette fascination pour le hobo, une personne sans ressources financières par définition, se retrouve de manière très ironique jusque dans les noms d’articles dans les catalogues des marques de skate, sur les graphiques de boards, etc.


Notre rédaction fut intriguée devant ce bonnet “Hobo” de bon goût vendu par Antiz Skateboards, bien souvent nommé les Anti Heros français par la plèbe. Au-delà de ce détail, eux aussi on fréquemment convoqué la figure du hobo dans l’élaboration de l’identité de la marque. Rappelez-vous leur fameux Hobo Erectus...

 

 

Si l’aventure hobo vous tente,  vous pourrez également vous procurer ce kit de couverts “hobo” pour la modique somme d’une centaine de dollars. Fruit d’un co-branding subtil entre Supreme et Anti Hero, cet article aura le mérite d’incarner les valeurs les plus antithétiques possibles. Entre la culture hypebeast portée par Supreme, et l’idéal du hobo campeur dans les grands espaces américains d’Anti Hero, le grand écart s’avère dangereux pour les adducteurs.




 

 

Alors, appropriation culturelle ? 

 

Au-delà de ces exemples anecdotiques, ce qui porte à réfléchir, c’est la marchandisation de la figure du SDF/hobo dans l’industrie du skate.

Tantôt, le SDF est un motif à intégrer à une vidéo en gage de street cred. Toute interaction avec lui sera alors gage de la bonne intégration des protagonistes de la vidéo dans la grande communauté de la rue. Souvent filmé à son insu, son apport à la vidéo se fera donc en dépit de lui-même.


A d’autres moments, c’est l’image du SDF-même qui apparaît en filigrane dans le fil narratif qui tisse l’identité d’une marque. Pour le consommateur, l’acquisition des biens de consommation proposés par la marque sera alors un passeport pour l’expérience enivrante et romantique de la vie anti-conformiste du hobo.

 

Ce qu'il y a d'ironique dans la situation, c'est que la communauté skate est la première à crier à l'appropriation culturelle et s'indigner lorsque ses codes sont repris par les normies, encore plus lorsque c'est fait à des fins commerciales. Il fut un temps où il semblait que rien ne pouvait plus faire enrager la communauté skate que le port de vêtements Thrasher par des non-skateurs. Il y a même eu toute une vague de vidéos virales où de pauvres normies se faisaient interpeller par quelque sombre connard révolté qui leur demandait si "Do you even skate, bruh ?"

 

 

 L'importance de l'engagement militant pour des causes qui comptent.

 

Sauf que lorsqu'on parle de reprise des codes du mode de vie hobo par la communauté skate, il y a quelque chose de bien spécifique qui se joue. En effet, ces codes-là ne sont pas ceux d'une culture alternative, comme cela peut être le cas pour les codes du skate, de la musique hardcore ou encore des communautés geeks, qui ont tous d'une manière ou d'une autre été repris par la société mainstream et utilisés à des fins mercantiles. 

 

Dans le cas de l'appropriation du hobo lifetstyle, ce qu'il y a de bien particulier, c'est que ces codes sont ceux d'une groupe d'individus faisant l'expérience de violences sociales et financières. Ils ne sont en aucun cas l'expression d'une culture alternative pensée et nourrie par la volonté des acteurs qui la composent. Ce qui, pour la culture skate, correspond à un idéal romantique de liberté et d'anticonformisme, n'est en fait qu'une simple vie faite de misère et de pratiques pour l'endurer au mieux (alcool, drogues, vie en communauté).

Le roll-on grind, symptôme d'une génération de feignasses

  Lylian Fev, roll-on fs crook  https://soloskatemag.com/lilian-fev-unique-relique-from-paris   Phénomène observable depuis maintenant plusi...